Sidonie ? au Japon…

Que signifie Sidonie ? Je l’ignore. N’était-ce pas le prénom de la mère de Colette (Colette, vous voyez : la gourmande qui a écrit les Claudine) ? Est-ce que si la mère de Colette avait rencontré le bon mari, c’est elle qui aurait écrit ? Ou bien : avait-elle rencontré le bon, mais il fallait deux générations pour produire de l’écriture ? Pourquoi appeler ainsi ce personnage d’écrivain ? Pourquoi pas Colette ? Ou Nathalie (puisqu’à un moment, on voit le personnage poser ostensiblement sur une console un petit folio : Enfance, de Sarraute) ? Sidonie… N’était-ce pas aussi le nom d’une petite oie, dans un dessin animé des années 70 ?

Dans les scènes préliminaires, le personnage fait ses bagages : sa valise, son sac. Elle est songeuse, hésitante. À l’aéroport, elle demande s’il est trop tard pour l’avion d’Osaka. Ah, c’est encore possible. En s’accrochant à son bagage, elle dit à l’hôtesse qu’elle ne sait pas si elle veut partir. Mais la vie a décidé que oui, c’était possible. Et à l’arrivée, l’homme qui l’attend lui prend son sac – son sac et sa valise. Symboliquement il la déprend de tout ce qu’elle portait. Et elle n’a plus qu’à trotter derrière lui. Elle n’a pas l’air d’apprécier qu’on la déleste ainsi.

C’est son éditeur japonais. Il lui aurait écrit une merveilleuse lettre pour l’inviter à l’occasion de la réédition de son premier livre. Il y a une tournée de signatures chez des libraires, de rencontres avec la presse, d’interviews. On apprend qu’elle a perdu ses parents et son frère dans un accident de voiture, un été de sa jeunesse. Qu’elle a écrit ce livre dans cette période d’après leur disparition. Elle dit qu’écrire, c’est ce qui reste, quand il n’y a plus rien.

C’est un film où l’on se déplace : on quitte Paris pour Osaka, on traverse le Japon… On se déplace, on transmute. Les moments de déplacements, en voiture, en taxi, en train, donnent à voir par les fenêtres, les paysages du Japon : des cadres dans le cadre, des lumières contrastées, des chatoiements de matière – de bois, de pierres, de tissus… Mais l’attention et l’intimité, l’évidence, qui se déploient entre les deux personnages nous protègent de la tentation touristique et même de l’exotisme. Parfois aux causeries s’intercalent des visites de temples… On se rend aussi avec Sidonie et son éditeur sur les tombes de Junichirô Tanizaki (Eloge de l’ombre) et de son épouse : deux stèles dressées côte à côte, comme des petits menhirs ; sur celle de Tanizaki, juste l’idéogramme qui se traduirait par « rien » ; sur l’autre stèle, juste celui qui signifierait « silence »…

On comprend que très vite, après la mort de sa famille, il y a eu son mari, et qu’après une longue vie commune, il est mort, brutalement lui aussi. Mais malgré ce qu’elle affirme sur l’écriture – qui est ce qui reste quand il n’y a plus rien – elle n’écrit plus. Alors comment ne pas envisager que la parole est un leurre ? Que cette parole (qu’on entend surtout dans les interviews) est illusoire ? Alors que les conversations entre les deux protagonistes semblent gorgées de vérités sincères, sobres ; les voix sont bressonniennes, mais comme il y a l’effort de soutenir une compréhension entre deux personnes, dont l’une est plongée dans un environnement dépaysant, où sa langue ne peut plus paraître naturelle, et l’autre s’exprime dans une langue étrangère, ce ton durassien peut sembler plutôt naturel (et par là même, celui de Duras aussi, puisque son enfance était plongée dans une double culture, française et indonésienne, et qu’elle avait donc grandi sous le signe de ce décalage). « Tu es un écrivain, qui n’écrit pas. » lui dit paisiblement l’éditeur (impossible de ne pas imaginer cette phrase chez Duras, et même prononcée par Duras). « Et qui ne lit pas non plus », renchérit-elle. C’est une manière très minimaliste d’interroger le concept d’écrivain. Est-on écrivain, parce que, lorsqu’on estimait avoir tout perdu, on a écrit un livre (mais le film raconte que dès l’orée de cette perte, le mari a surgi, et une plénitude avec, dans le même temps que l’indéniable expérience du vide) ?

Le Japon est le pays des fantômes. C’est là que lui apparaît son mari qu’elle avait perdu. Au début elle a peur. Et puis elle s’habitue. L’éditeur lui explique qu’au Japon, c’est normal de vivre avec les défunts. Qu’il y a ceux qui les voient, ceux qui les sentent… Je ne crois pas qu’il dise qu’il y a ceux qui les entendent. Peut-être qu’il y a aussi ceux qui en perçoivent l’odeur, ou qui goûtent leur présence… mais ça, il ne le mentionne pas. Elle, elle voit et elle converse. Toucher le fantôme lui est impossible. J’ai trouvé ça rigolo, de nous représenter un fantôme fatigué, qui aspire à se délivrer de son reste de présence. Et aussi très émouvant de la découvrir accompagnée à son insu. Il y a comme un relais : l’éditeur l’aide, quand elle a peur ; le mari prend congés, alors qu’il était mort sans avoir pu le faire, et prépare sa nouvelle distance. La relation amoureuse entre l’auteure et son éditeur semble permettre à feu le mari de se dissoudre un peu plus. Et à la fin, Sidonie et son éditeur se touchent comme dans un roman-photo.

Et puis à la toute fin, pour rentrer en France, elle lui tend son sac. À l’aéroport elle s’esquive et oublie ce sac. Il découvre, en souriant, qu’il l’a toujours à l’épaule. Alors ? ça ressemble plus à un début qu’à une fin.

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