Denys Arcand, oui ? Le déclin de l’empire américain ? Jésus de Montréal ? Les invasions barbares ? J’adore ce réalisateur ! Il vient de signer La chute de l’empire américain. Ça ne manque pas d’humour… J’ai adoré. Une pure merveille !!!
Imaginez la première séquence : on est avec une grosse femme, je crois, et je crois me souvenir qu’on n’est pas face à elle, on est avec elle (je parle de la caméra, du cadre et du mouvement de la caméra). On est ni face à la serveuse du lunchroom à la québécoise, ni face à celui qui va parler, ni à la place de celle qui est assise en face de lui. On échappe au champ/contrechamp et on ne prend pas tout de suite les acteurs de face. Alors ? On est de biais ! Et on écoute. Un discours tarabiscoté sur l’intelligence comme handicap. Oh my god !!! s’est exclamé mon cœur gonflé de gratitude. L’acteur est tout ramassé sur lui-même. Son corps enroulé nous raconte l’impossibilité de prendre de la place. On écoute. Je vous laisse écouter. Le rythme de cette terrible déclaration.
Et puis à un moment on plonge. Dans le regard de cet acteur fabuleux : Alexandre Landry. Ses yeux qui s’emplissent de larmes. Son front qui se plisse. Ses narines qui s’étrécissent et ses lèvres qui tremblent, mais laissent toujours affleurer le mouvement d’une pensée fluide, claire, accessible. Voilà ! Ça commence comme ça, par cette proposition de voir qu’on peut être bouleversé et continuer à penser brillamment. Un concentré d’intelligence et de beauté. Vous avez vu ? Vous avez entendu ? Et la fille censée l’aimer le maudit et sort. Comment s’en attristerait-on ? Qu’est-ce que c’est que ces manières de vouloir ? Qu’est-ce que c’est que ce concept d’amour qui ne trouve pas non plus ces voies ?
Après ? Je ne vous le raconte pas. Il y aura un hymne discret, mais résolu, à la ville de Montréal. Il y aura une scène où un brigand en interpelle un autre en anglais et l’autre lui répond en français et, croyez-moi : tout est clair. Il y aura des mendiants, il y aura des petites frappes. Il y aura un prisonnier qui obtient une permission spéciale pour aller suivre un cours sur la fraude fiscale à l’université et ce sera une magnifique ruse de narration pour vous redire que tout le monde le sait, cette affaire de fraude, les profs, la police, l’administration… tout le monde le sait, mais à quoi sert de savoir ? Il y aura des putes et il y aura des guerres de gangs. Il y aura des flics, un honnête qui rêvait de philosopher et une autre, bisexuelle finaude.
Et surtout, surtout, on recevra des salves de citations. De poètes et de philosophes. Et ça, mais ça, c’est sûr : c’est toujours ça de pris !!! mais attention : pas des citations recopiées au silence d’une bibliothèque, ou dans la tanière d’un étudiant retiré quelque part et jugeant l’eau du bain trop froide pour daigner y descendre. Non ! Des citations comme un sous-titrage décisionnel, une sorte de commentaire « live », comme si (ainsi l’appelle Erri de Luca dans son Tour de l’oie) le « répertoire de lecteur » du héro était vif et que la pensée des auteurs étudiés devenait comme un parrainage sur le vif, une introjection des auteurs, et surtout, comme si cette pensée lue et intégrée était si vive qu’elle participait de l’articulation de l’action. Un pur délice !!!
Le fond de l’histoire ? La chance ? La providence ? Les fondements de l’action ? Danser avec la vie. Toute intelligence est intelligence de… ? Laissez courir Sartre. À la fin tous les protagonistes encore vivants serviront la soupe populaire dans un refuge pour les sans-abri et on aura fini de vouloir être riche et célèbre. On aura aimé, le temps que tous ces gens soient filmés, tous ces visages chéris par la caméra, avec une sorte de modestie. Beaucoup de méchants seront morts, ou emprisonnés. Comme trafiquants épargnés, on aura vu des gens de l’immobilier, de la médecine, de l’État. Et vous savez quoi ? J’ai envie de le revoir, et aussi de le réentendre. J’espère que vous aussi !